Comment continuer à exister quand on a été témoin impuissante d'une agression ?

J'avais peur de ne pas accrocher à l'adresse directe au lecteur, de ne pas croire en la "disparition" de la narratrice, d'être secouée par des scènes traumatisantes...et finalement j'ai été emportée par ce court roman qui réussit à être à la fois une alerte puissante contre les relations non consenties ET une lumineuse histoire positive! Tranchante ET pudique. Qui hurle ET qui se tait.

"La vie d’Anna est rythmée par le lycée, les interros de maths ratées, les sorties entre copains et les messages de Pierre. Avec lui, elle se sent prête à aller plus loin. Sauf qu’un après-midi, ce quotidien vacille. Lors d’une pause, Anna est témoin d’un événement dans les toilettes du lycée. Quelque chose qu’elle n’aurait pas dû entendre. Silencieuse, cachée, fermant l’oreille aux voix cinglantes et aux bruits sourds, Anna disparaît… littéralement. Une fois, deux fois. Puis trois. Jusqu’au jour où une de ses camarades cesse de venir en cours. L’une aimerait se faire oublier, l’autre voudrait bien se retrouver. Et si tout était lié ?"

A la lecture, j'ai été aussi saisie et sidérée que l'héroïne par cette courte scène dont elle est témoin auditive, et sa disparition/culpabilité suite à cet épisode fonctionne très bien. L'agression sexuelle n'est pas longuement décrite ni insupportable (mais on est d'accord, toute agression est intolérable), elle est plantée dans nos têtes, s'insinue vicieusement, prend tout l'espace et éteint la victime autant que la témoin. Les chapitres sont courts, le souffle se raréfie. C'est terriblement réaliste et efficace.

Anna est donc bouleversée, auto-condamnée par son silence et son impuissance. Comment agir devant l'inadmissible ? Parler si la victime ne veut (ne peut?) pas ? Comment continuer à se voir dans le miroir, à se sentir exister ? 

Et en même temps, comment s'autoriser les sentiments joyeux ou amoureux ? Parce qu'Anna a rencontré quelqu'un et c'est beau, mais elle est incapable de vivre cet amour quand son amie porte son fardeau seule.

Alors il y a les mots. Les citations qu'Anna glane depuis des années et qui sont des réserves d'énergie et d'inspiration. Les mots amoureux qui valident la nécessité du consentement. Il y a aussi la lumière d'un groupe d'amis solidaires, des premières amours douces et enivrantes. La galerie de personnages est très réussie. Un club littéraire, des adultes qui soutiennent et accompagnent, mais seule Anna peut agir.

Et Anna va expulser le secret, va s'exprimer pour dénoncer. Prendre la parole et libérer, grandir, faire des choix forts, faire communauté.

Ce petit roman ne disparaitra pas de ma mémoire, assurément.

Le jour où j'ai disparu, Julie Samuel, éditions Didier jeunesse, (mars 2025), 150p., 15,50€, à partir de 15 ans , fond image: freepik

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